Errance et décadence

Région comprenant entre autre Urpis et Ertuën, région centrale où se retrouve les habitant de toute l'île.
Eileen
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Errance et décadence

Message par Eileen »

L'aube se levait paisiblement à l'Est. L'astre du jour escaladait le ciel à un rythme lent et régulier. Il avait déjà dépassé le haut des montagnes des royaumes Nains, éclairant à présent les plaines du centre de sa chaude lumière matinale. Tandis que la capitale paladine s'éveillait au nord, les rayons du soleil tentaient comme à chaque lever du jour de percer les brumes funestes des marais valoundriques au sud, en vain. Le semblant de chemin qui traversait les marécages vampiriques pour rejoindre les douces et chaudes plaines qui contenaient Urpis et Ertuen n'était plus beaucoup emprunté ces derniers temps. Et pourtant, une silhouette isolée semblait tituber à la frontière imprécise entre les deux régions, s'avançant difficilement dans les terres boueuses de l'endroit. Elle vacillait à chaque pas. Le vent à lui-seul aurait pu avoir raison du piètre équilibre du voyageur. Au fur et à mesure de son avancement, le solitaire donnait l'impression de perdre en aisance de mouvement, malgré le fait que le terrain lui-même devenait progressivement plus aisément praticable.

Au bout d'un moment, la silhouette s'écroula. Mangeant la poussière, couvert de boue et de sang, le voyageur perdit connaissance quelques instants. Puis le chant aigu d'un oiseau perché en haut d'un arbre proche l'extirpa tant bien que mal du Royaume des Songes.

Eileen prit une grande inspiration et rouvrit les yeux. Elle fit cligner ses paupières à plusieurs reprises, puis laissa s'échapper des sons rauques du fond de sa gorge. Ses mains rouges glissèrent le long de son corps dans l'herbe grasse de la plaine qu'elle était enfin parvenue à rejoindre et se fixèrent aux côtés de son visage fatigué. Elle poussa avec toutes les forces qui lui restaient sur le sol, et, dans un gémissement bruyant, se redressa. Certaine qu'elle n'aurait plus la force de se lever, elle se mit à ramper péniblement sur le sol, s'avançant mètre par mètre jusqu'aux arbres les plus proches. Elle pouvait entendre le ruissellement d'un cours d'eau. Sa gorge, sèche comme le désert et irritée comme la rouille réclamait ardemment quelque apaisement.

Elle finit par trouver le ruisseau. Elle y plongea son visage et se sentit comme libérée par la fraicheur de l'eau, ravivée comme un feu sur lequel on aurait soufflé. Elle s'adossa contre un rocher à côté de l'eau, et baissa les yeux sur son corps. Sa vieille toge brune était déchirée de partout et était maculée de rouge et de brun. Reprenant son souffle, elle entreprit de faire disparaître le rouge de sa main et de ses joues. Elle se lava ainsi sans pendant de longues minutes, colorant une petite partie des flots en pourpre.

La jeune femme n'était pas blessée. Ce n'était pas son sang. C'était celui de cet homme qu'elle avait gratuitement assassiné. Elle était une meurtrière. Dix ans, dix ans elle avait erré dans les marécages depuis qu'elle avait été transformé en la créature démoniaque qu'elle avait passé sa vie humaine à chasser. Dix ans pendant lesquels elle n'avait pas cédé une seule fois à la Soif. Cette envie perverse et permanente de boire du sang, aussi intense que ses canines étaient longues et que son teint était blafard. Mais c'était terminé, à présent. Elle y avait gouté. Son chemin avait croisé celui de ce voyageur perdu dont elle ne connaîtrait jamais le nom et qui la hanterait toute sa vie comme le premier qu'elle avait consommé jusqu'à exsanguination.

Lorsqu'elle était sortie de sa rage sanguinaire, lorsqu'elle avait reprit contrôle de son esprit, elle avait vomi jusqu'au dernier centilitre de ce qu'elle venait de boire. Dégoutée par elle-même et prise d'une panique sans égale, elle s'était enfuie des marais dans lesquels elle s'était cachée avec honte durant la dernière décennie. A bout de force, elle avait fini par retrouver le chemin menant à Urpis, l'emmenant bien plus au Nord qu'elle ne l'avait été depuis bien longtemps.

Elle voulait voir le soleil, mais il lui brûlait la peau.

Elle voulait sentir la douceur du vent dans ses longs cheveux sombres, mais il lui glaçait le sang.

Elle voulait laver son corps du sang sa victime, mais le voir se diluer dans l'eau du ruisseau réveillait ses instincts.

Qu'elle le veuille ou non, elle était devenue une vampire. Longtemps elle se l'était nié, mais cela lui était impossible à présent. Elle ignorait ce qu'elle devait faire. Se tourner définitivement vers Hécate et le chaos, la destruction et la vie de vampire qui s'annonçait à elle, ou lutter encore et toujours contre cette sensation de puissance, de désir et de rage qui brûlait au cœur de son âme ? Le choix était devant elle, et elle le savait.

Mais son esprit était brisé. Meurtri par les événements, brouillé par la fatigue. Ses idées étaient trop sombres pour prendre une décision. Tandis qu'elle perdait à nouveau connaissance, elle n'avait plus qu'une seule chose à l'esprit : elle avait soif. Encore.
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Naorun
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Re: Errance et décadence

Message par Naorun »

Naorun était une fois de plus sur les routes, tentant tant bien que mal de trouver les quelques survivants de la peste étrange qui avait ravagé ces terres il y a quelques temps, juste après la convocation par les dieux dans leur palais. C'était une incompréhension que tout ceci, car cela n'avait aboutit à rien, si ce n'est à l'annéantissement. Peut-être que la catastrophe qu'ils avaient perçue était arrivée plus tôt qu'ils ne s'y attendaient ? Toujours est-il que les dieux sont retournés à leur silence familier, et la vie continue.

Au moment où Naorun pensait justement cet adage, le monde semblait vouloir lui dire que ce n'était pas le cas. Il vit au loin un attroupement. Un chariot était arrêté, et une dizaine de personne se tenait là-bas. Des gens du commun, pour la plupart. Mais au vu du Paladin en armure qui semblait discuter avec conviction, des quelques parents qui tenaient éloignés les enfants du lieu de regroupement, et des rapaces qui s'éloignaient, il semblait bien qu'une triste fin avait rattrapé quelqu'un.

"... Et donc ce pauvre hère, vous le connaissiez ?"
"Non m'sieur. Sans doutes un pov' gars qui s'est fait choppé par une des saloperies du coin. C'est pour ça qu'il fait bon d'vous avoir avec nous !"
"Oui... Mais est-ce si simple ? On dirait qu'on s'est acharné sur lui. Une vengeance ? Ou juste un monstre qui s'est amusé à... ?!"
Le paladin s'interrompit, et fit fasse au nouvel arrivant. Mais celui-ci s'agenouilla au pied du corps qui gisait là. Ce n'était pas beau à voir. Les yeux exorbités dévoilait de la terreur que l'homme avait subit. Ses traits tirés étaient ceux de la douleur. Le corps était blanchâtre, bleu et violacé. Il était vidé de son sang, dont une partie recouvrait encore son vêtement.
"Damné. C'est signé. Et c'est un jeune. Ou alors un Purifié qui a craqué." Fit Naorun, avant de fermer les yeux du malheureux de la main. Le Paladin jura.
"Je vais devoir emmener ces braves gens plus loin. Ils ne sont pas en sécurité ici. Cela me fait mal de ne pas pourchasser ce monstre, mais..."
"Je m'en occupe. Faites ce que vous avez prévu de faire."
Apparemment soulagé d'un poids, le Paladin salua Naorun, puis lançant des ordres, il organisa tout ce petit monde qui l'accompagnait et ils partirent, avec toutefois une certaine confusion qui demeurait.

Naorun poursuivit les traces du vampire. Pas très discret, celui-là. On traquerait un cyclope plus difficilement. Les traces étaient bien visible dans la fange qui bordait le nord des marais. Les traces s'éloignaient vers le nord. Les traces étaient anciennes, mais le sol détrempé des précédentes pluies les laissaient bien visibles.

Il fronça les sourcils, s'agenouilla une nouvelle fois, et examina à nouveau le sol. Une large tâche de sang était à terre. Pourtant, aucune traces de combat, et il n'y avait aucune trace avant ou après, ce qui excluait une blessure du vampire. C'était très étrange. Il toucha le sang au sol de deux doigts, et les porta à la bouche. Il recracha à l'instant.
"Écœurant, de la bile est mélangée à ce sang. Et il faudrait aussi que je me fasse à l'idée que depuis que je ne suis plus un vampire, je n'aime plus trop le sang..."
Le vampire avait donc vomi. Cela renforçait l'hypothèse du Purifié. De toutes façons, il ne tarderait pas à le découvrir.

Naorun se demanda ce qu’il ferait en face du vampire. Il avait dit au Paladin qu’il s’en occuperait, mais de quelle façon ? Depuis qu’il avait réussit à quitter le vampirisme pour redevenir humain, il avait perdu toute sa force passé, celle pourvu par le sang d’Hécate. Le peu de discipline acquise chez les Purifiés ne l’avait pour l’instant pas beaucoup aidé. Il travaillait dur, mais ne pourrait pas combattre un vampire agressif et combatif.

Au moins, le vampire n’avait pas bu de sang. Il serait aussi affaiblit.

En parlant du loup, Naorun arriva près d’un ruisseau et la vit. Le vampire - La vampire - était allongée près de l’eau. Un de ses bras trempait encore dans le cours et le sang qui tâchait ses vêtements partait peu à peu. Naorun s’approcha. Il lui toucha le front. Elle était inconsciente, mais bien vivante. Toutefois, son visage n’était pas tranquille. On aurait dit qu’elle avait presque autant souffert que le pauvre homme qu’elle avait tué.

Naorun soupira. Il ne voulait pas la tuer. Qui était-il pour la juger, sachant que lui même avait tué des milliers de personnes pour boire leur sang dans son sombre passé ?

Il la sortit de l’eau, et l’allongea sur le sol, sous un arbre, prenant une pierre polie pour relever sa tête. Puis, grimaçant, il s’attaqua à nettoyer ses vêtements autant qu’il pu du sang qui les souillaient. Il ne savait que trop bien à quel point le sang excitait la Soif. Il eut beaucoup de mal, surtout qu’il se devait de respecter la pudeur de la jeune vampire, mais il parvint à enlever l’essentiel.

Une fois cette tâche achevée, il prépara un feu. Le crépuscule était déjà là, et la nuit approchait. Il se dit alors que passer la nuit en compagnie de cette inconnue n’était pas forcément l’idée du siècle...
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Eileen
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Re: Errance et décadence

Message par Eileen »

Les crépitements irréguliers d'un feu de bois sortirent peu à peu Eileen de son sommeil. Les yeux fermés, elle pouvait sentir la chaleur proche des flammes allumées par Naorun. Son esprit était toujours parasité par un tourbillon d'idées et de sensations floues, et il lui fallut bien longtemps pour parvenir à y mettre de l'ordre. Lorsque ses souvenirs lui revinrent, alors que sa conscience s'encrait de plus en plus dans le réel, elle réalisa qu'elle s'était endormie seule, dans la nature, sans avoir jamais allumé de feu. Soudaine prise de panique, elle ouvrit précipitamment les yeux et tenta de comprendre se qui se passait autour d'elle.

La vampire vit un homme assis à quelques pas de là, devant un feu de camp. Il avait le regard perdu dans les flammes. La nuit était tombée, et l'ombre nocturne n'était vaincue que par la lumière dansante des langues incandescentes qui dévoraient les buches embrasées. Eileen referma ses paupières, priant pour que l'inconnu n'ait pas remarqué son éveil. Avant d'agir, elle voulait faire silencieusement le point.

De toute évidence, quelqu'un l'avait trouvée gisante près du cours d'eau et l'avait allongée dans une position plus confortable. Elle avait dormi près d'une journée complète, et son corps affaibli criait famine. Concrètement, elle n'avait aucun pouvoir de décision sur son destin à cet instant précis : elle était si faible qu'elle n'aurait pu ni fuir, ni combattre. Elle ignorait tout de l'inconnu qui se trouvait à moins de deux mètres d'elle, et ne pouvait qu'assumer que ses intentions envers elle étaient bienfaisantes, étant donné qu'elle était toujours en vie.

Toujours sans faire le moindre bruit, elle entrouvrit ses paupières pour tenter de glaner d'autres informations. Lorsqu'elle vit le cou dénudé de l'homme, la Soif qui l'avait quittée pendant son séjour dans l'inconscience revint vers elle avec une violence indescriptible. Si elle pouvait le prendre par surprise, peut-être pourrait-elle Boire. Du sang chaud, du sang humain. Elle y avait déjà gouté. Elle savait que son corps apprécierait. Elle savait qu'il lui suffisait de faire ça pour que sa fatigue disparaisse, que ses crampes cessent de la paralyser et que ses pensées deviennent aussi claires que de l'eau de source. La tentation était grande, et elle avait une envie incontrôlable d'y succomber. À la pensée même de voir ses longues canines s'enfoncer dans la douce chaire de la nuque de l'inconnu et de sentir le goût métallique de son sang sur sa langue, elle frissonnait. Tous les poils de son corps s'hérissèrent à l’unisson tandis que ses pupilles se dilataient et que sa bouche s'humidifiait. Ses mains posées au sol aux côtés de ses hanches se refermèrent sur elles-mêmes, arrachant doucement les brins d'herbe qu'elles attrapèrent au passage.

Puis, elle se rendit soudainement compte de la teneur de ses désirs, et s'arracha du délire fiévreux dans lequel elle avait versé. Elle déglutit, avala la salive trop abondante de sa bouche de travers et se mit à tousser. La quinte fut plutôt forte, et elle sentit même la nausée s'éprendre d'elle. Elle se redressa avec précipitation pour ne pas étouffer, puis se plia en avant, cherchant désespérément à rattraper de l'air pour ses poumons. Incapable de se reprendre, elle se projeta sur le côté, rampant à quatre pattes sur un bon mètre en fermant les yeux. Elle perdit son appui, glissa sur sa main gauche et se sentit tomber sur le ventre. Le visage dans l'herbe, elle put enfin retrouver de l'oxygène. Haletante, elle resta au sol sans plus bouger. L'homme était derrière, elle ne pouvait pas voir sa réaction. Elle sentit son estomac vibrer et son œsophage se resserrer. Éprise par un nouveau cocktail de douleurs, elle se mit à gémir doucement. Sa gorge s'était asséchée au cours de sa crise de toux, et elle sentait quelques fines larmes couler le long de ses joues pâles.
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Naorun
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Re: Errance et décadence

Message par Naorun »

Comment pourrait-il bien aborder cette jeune fille. Naorun se posait la question depuis qu'il avait fini le feu et qu'il s'était assit. Bonjour, je vous ais trouvé au bord de la rivière après que vous ayez tué sauvagement un homme. Je m'appelle Naorun, et vous ? Il aurait voulu pouvoir en sourire, mais la vérité était qu'il ne trouvait rien à dire, rien de facile. Peut-être devait-il réagir un peu comme Thanis l'avait fait autrefois avec lui ? Mais la différence était qu'il n'avait pas la moindre chance contre elle. En revanche, Naorun n'avait aucune idée de s'il était capable de maîtriser la vampire si elle venait à vouloir s'abreuver de son sang à nouveau délectable.

Il sursauta soudain. La vampire avait eut un sursaut et fut prise d'une violente quinte de toux. Ces yeux étaient entrouverts, mais elle se détourna et se roula plus loin. Naorun blêmit. Sa garde avait été baissée tout ce temps ? Elle aurait pu le tuer une bonne dizaine de fois si elle l'avait voulue.

Il la regarda. Elle était dans une passe difficile. Naorun eut un sourire stupide en pensant ça : c'était vraiment défoncer des portes ouvertes. Il voulait l'approcher, l'aider, mais n'osait pas. Il avait peur d'elle, mais surtout, il n'avait plus confiance en lui. Il resta à distance.

"La Soif est difficile, n'est-ce pas ?"

La jeune fille se retourna alors. Tout comme elle permettait à son interlocuteur de voir ses larmes, elle le vit lui. C'était un homme d'apparence jeune, frêle, et qui ne semblait pas dangereux. Ses cheveux platines courts, ses yeux bleus pâles, son sourire triste alliaient souffrance et compassion.
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Re: Errance et décadence

Message par Eileen »

Dressée sur ses avants-bras et tordue vers l'arrière pour voir son interlocuteur, Eileen était encore en train de reprendre son souffle tandis qu'il avait lancé la conversation. Son ton léger et compatissant lui confirma qu'il ne lui voulait pas de mal. Mais la vampire ignorait encore si elle-même pouvait se vanter d'être pacifiste à son égard. Elle détourna les yeux et se mit en fixer le sol sous son visage. Depuis qu'elle avait été vampirisée, depuis qu'elle avait commencé son errance, elle n'avait plus parlé à qui que ça soit. Si elle n'avait pas eu longtemps l'habitude de se parler à elle-même pour se motiver et conserver son courage, elle aurait probablement oublié le sens des tournures, la syntaxe des phrase et la prononciation des mots de la langue commune.

Hésitante mais consciente qu'il lui fallait réagir, elle laissa s'échapper de ses lèvre un son léger, à peine audible, mais clairement approbateur envers ce qui avait été dit. Elle fit glisser ses jambes sous son corps pour les étaler devant elle, de façon à se tenir assise en tournant le dos à son interlocuteur. Elle avait peur que le regarder à nouveau la relancerait un tourbillon de pensées meurtrières. Plus que jamais, elle comprenait le qualificatif "damnés" désignant les vampires de Valoundra, car c'était bien d'une malédiction sans égal qu'il s'agissait. Et de ce qu'elle venait de vivre, elle ne pouvait s'imaginer épanouie autrement qu'en embrassant à pleine lèvre cette vie de violence et de mort.

Attrapant ses genoux avec ses avants-bras et se penchant en avant, elle se mut en une forme ovale, recroquevillée sur elle-même. Pendant le bref instant où elle s'était tournée vers lui, elle avait pu déterminer que la bonne âme qui l'avait secourue n'avait rien de menaçant. Elle ne se sentait pas en danger, mais elle se savait très vulnérable... Même si un feu bouillonnant rageait au fond de son être, chaud comme la braise et sauvage comme le fauve. Elle laissa un lourd silence s'installer. Elle vacillait entre désespoir et tristesse.

Puis, elle remarqua que - tant bien que mal - le sang avait été lavé de son habit. Elle se mit alors à penser à la profondeur de la pitié et de la compassion dont l'inconnu avait dû faire preuve à son égard dans les heures qui avaient précédé. Il lui sembla soudainement impossible que ce fut sans raison : le destin, les dieux, ou la chance lui avait offert cette opportunité, et elle se devait de la saisir. Tentant de se rappeler les préceptes paladins qui lui furent inculqués dans sa belle jeunesse, elle prit son courage à deux mains. Peut-être que d'ici deux jours, deux mois, deux ans, ou deux décennies elle s'abandonnerait entièrement à la Soif ; mais aujourd'hui, elle allait encore lutter. Garder le contrôle, coûte que coûte.

Elle se racla le fond de la gorge et s'entendit dire, d'une voix fatiguée et sur un ton las :

- Difficile, oui. Je...

Elle marqua une pause, chercha ses mots.

- Merci. De m'avoir aidée. Mais.. Je... Ne devrais pas rester ici. Je...

Elle cherchait à faire comprendre à Naorun qu'elle n'était pas sure de pouvoir se contrôler, mais elle se sentait comme nue dans les ténèbres. Elle était embarrassée par son incapacité à dominer ses propres pensées. Honteuse et faible, elle se mit à sangloter doucement. Pire que tout, elle se sentait ridicule.
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Naorun
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Re: Errance et décadence

Message par Naorun »

Naorun ne savait que trop comment réagir. Il n'était pas très doué pour ça. De moins le pensait-il. Il resta un instant à regarder le sol, cherchant quoi dire, quoi faire. Il se rassit, et commença :
"C'était le premier, n'est-ce pas ?"
Le silence fut sa seule réponse.
"La Soif n'est pas quelque chose que l'on peut réprimer aisément, ni par la simple force de la volonté. Il arrive toujours un moment où, dans un moment de faiblesse, on y cède. C'est en amont qu'il faut se faire une idée claire de ce qu'on veut devenir en tant que vampire, et accepter le fait que l'on est un vampire."
Il soupira tristement.
"J'ai connu cela aussi. Je suis né Rebelle, mais mordu par un sang pur, je suis devenu un vampire. Je n'ai pas fais de choix, et je suis devenu une bête sauvage pendant des décennies, des siècles. Le sort à fait que je suive les différentes voies des vampires, avant que la divine convocation ne me rende à mon humanité. Je n'ai jamais comprit comment je suis redevenu humain.
Toujours est-il que je pense pouvoir t'aider. J'ai connu les trois voies des vampires. Celle des Purifiés, qui à force de discipline et de méditation parviennent à maîtriser leur Soif, la plupart du temps ; celle des Damnés, qui acceptant ce qu'ils sont, se contrôlent aussi la plupart du temps, et parviennent à tuer de manière civilisée, si cela est possible. La dernière voie, celle des bêtes, où tu tues tout ce que tu rencontres sans hésitation, tu ne l'aimerais pas. Tu ne vis plus, tu es juste un instrument du destin apportant la mort, sans âme et sans conscience."

Naorun, s'arrêta. Il en avait trop fait. Ce n'est pas en disant ça qu'il lui remonterait le moral. Mais certaines choses sur les vampires devaient être sues. Il sourit faiblement.
"Je m'appelle Naorun. Et vous ?"
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Re: Errance et décadence

Message par Eileen »

Eileen parvint à se calmer peu à peu. Les paroles de l'homme s'étant présenté comme Naorun parvenaient, pour une raison ou une autre, à l'apaiser. Sa solitude prolongée lui avait fait perdre l'habitude de recevoir de l'aide. Il venait de relativiser la situation qu'elle vivait, et lui avait rappelé une vérité simple mais rassurante : beaucoup d'autres étaient passés par là, et beaucoup étaient parvenus à s'en sortir. Eileen repensa aux longues années qu'elle avait passé dans la solitude au coeur des marais, croyant que seul l'isolement pouvait l'empêcher de devenir le monstre sanglant qu'elle avait tant pourchassé avant de basculer dans les ténèbres. Mais à travers ce que Naorun avait dit, elle avait compris que ce n'était pas une solution viable sur le long-terme, et qu'il existait des nuances dans les façons de vivre son vampirisme.

Lorsqu'il évoqua le fait qu'il avait été "guéri" du mal immortel, elle eut du mal à le croire. L'information fut assez mal comprise par son esprit, et elle décida de l'ignorer pour le moment. Pour l'instant, elle avait d'autres priorités.

- J'ai soif. Et faim.

La vampire déboussolée ne se retourna pas. Elle hésita un instant, puis finit par ajouter :

- ...Eileen. Je m'appelais Eileen.

Elle n'était pas sure de vouloir faire confiance à Naorun, mais elle avait la sensation désagréable de ne pas avoir le choix. Elle avait besoin d'aide, et il semblait prêt à lui en fournir. Elle restait cependant encore peu désireuse de trop s'ouvrir à un inconnu.
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Naorun
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Re: Errance et décadence

Message par Naorun »

"Enchanté, Eileen"
Elle lui avait donné son nom. C'était un début. Mais ce qu'elle avait dit juste avant l'interloqua.
"Faim et soif ? Une seule et même chose, n'est-ce pas ?"
Il fouilla dans son sac, et en sortit une petite coupelle et un couteau de chasse. Tandis qu'il faisait cela, il disait :
"Il est toujours compliqué de se nourrir en tant que vampire. Le sang d'animaux d'est guère efficace, à croire que le sang des enfants de Sorad, de Gorhann et d'Iridius est le seul à pouvoir vraiment satisfaire. Une conséquence de la rivalité des divinités, peut-être. Toutefois..."
Posant la coupelle, il prit le couteau d'une main, se mit la lame sur l'autre paume.
"Une façon de contrer la Soif est d'y succomber... modérément. Je peux vous donner l'équivalent d'une coupe de mon sang. A condition que vous me promettiez de ne pas me tuer après, évidemment."
Naorun jouait dangereusement. Voulait-il vraiment encore vivre pour se permettre de s'affaiblir alors qu'il libérerait les instincts de la vampire au moment où son sang serait à la vue et à l'odorat de celle-ci ? Était-ce un moyen d'expier ses propres péchés ? Il devrait y réfléchir plus tard. S'il survit...
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Re: Errance et décadence

Message par Eileen »

Eileen se tourna lentement et regarda avec envie le sang de Naorun couler dans la coupelle. Le désir immanent à la Soif prit le dessus sur sa pensée, et elle arrêta de réfléchir. Elle se projeta vers Naorun avec toutes les forces qui lui restaient, attrapa le bol, et dégusta chaque gorgée qu'elle put en tirer. La vitesse avec laquelle elle se sentit revigorée l'impressionna. Dès qu'elle eut finit de boire, la jeune vampire se recula rapidement de quelques pas, pour ne pas être trop tentée de continuer son repas sur sa source. Étonnement, elle se sentit bien plus apte à résister à l'attraction qu'elle avait pour la chair de l'homme en face d'elle maintenant qu'elle avait pu boire : à la place d'avoir été mise en appétit par l'échantillon qui lui avait été offert, elle avait reçu de ce dernier la force nécessaire pour se contenir.

Même si elle était loin de pouvoir théoriser les sensations qui la traversaient, elle pouvait déjà comprendre ce qu'avait dit le généreux donateur de son rapide repas : une consommation modérée de sang permettait sans conteste une maîtrise relative de la Soif. Eileen s'essuya la bouche avec son poignet et hocha la tête en direction de Naorun pour le remercier.

Après s'être réinstallée dans une position plus confortable, elle osa enfin regarder son interlocuteur droit dans les yeux. Elle le jaugea, cherchant à comprendre la logique de ses actions. Incertaine, elle finit par demander :

- ...Pourquoi m'aidez-vous ?"
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Naorun
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Re: Errance et décadence

Message par Naorun »

Naorun n'avait pas oublié la voracité d'un vampire qui a la Soif. Cela dit, ça surprenait toujours. Il se retint de bondir en arrière, car à coup sûr il aurait renversé la coupelle, ce qui aurait été pour le moins dangereux. Lorsque la vampire eut fini de boire, se réinstalla et la conversation allait enfin s'engager d'égal à égal. Jusque là, la jeune fille avait toujours été divisé, dépassé, mais elle avait finalement regagné le plein contrôle d'elle-même.

Elle l'observait. Elle devait le prendre pour un fou. Après tout, Naorun l'était toujours un peu. Des siècles de démence ne s'effacent pas si facilement, même sous la bienveillante houlette de Thanis. Il répondit à sa question :
"A vrai dire, je n'ai pas véritablement de mobile. Peut-être que je me suis revu à mes débuts, et que je ne voulais pas que vous fassiez mes erreurs. Cela dit, en y réfléchissant... Je préférerais que vous ne vous mettiez pas à massacrer mes semblables sans distinction. Si tel serait le cas, nous serions alors ennemis. Mais j'aimerais davantage vous avoir comme amie. Ou alliée. Ou peu importe vous nommeriez ce genre de chose."
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