Le sang appelle le sang. Et le sang des vampires appelle celui de leurs alliés.
Je pouvais sentir le danger de loin : Alex'heya se faisait agresser. Je lui avais donné à boire de mon sang, longtemps auparavant, et cela s'en ressentait, parfois. Parfois, je me sentais appelé à elle, surtout quand ses émotions se déchaînaient.
Et elle avait de la chance : aujourd'hui, je me trouvais non loin de là. J'étais allé voire les tombes d'Urpis, au cimetière, toujours à la recherche de ce qui m'avait à l'origine amené sur l'île.
Souviens toi d'elle... elle étais tienne par droit et par promesse...
Et je marchais, et je marchais. Je quittais le cimetière, passant devant la tombe de nombre d'humains que je ne connaissait pas.
Rappelle toi votre rencontre... et votre séparation...
J'avais appris à vivre malgré cette voix dans ma tête. Je pouvais à présent l'ignorer si je le souhaitais. Aujourd'hui, je ne le souhaitais pas. Je quittais le cimetière.
Dès mon entrée en ville, je pouvais sentir la fumée et entendre la clameur qui s'élevaient de la taverne. Je m'approchais, un beau bazar régnait devant le bâtiment, complètement explosé de toutes part par les éjections d'ivrognes et d'objets.
Je me frayait un chemin, tant bien que mal, à travers la dense foules des circonspects spectateurs du désastre, et arrivait devant la fenêtre du rez-de-chaussée.
Un corps fut éjecté par la fenêtre. Le public s'abrita tant bien que mal derrière un mur de bras plus ou moins musclés. Nul besoin cependant : j’agrippais le pauvre hère en vol.
Au vu du vol plané de celui-là, j'en conclus qu'une force colossale se trouvait à l'intérieur, alors mes mesures ne seraient guère prudence déplacée.
J’agrippais davantage ma prise, et l'approchais de ma mâchoire. Je bus goulûment de nombreuses gorgées, lui laissant assez de liquide vital pour qu'il s'en remette.
Maintenant, j'étais prêt à toute éventualité. Je renvoyais mon nouvel ami, et repas improvisé, à l'intérieur, par le même chemin qu'il avait emprunté pour sortir.
Je bousculais la foule, donc certaines de mes connaissances, et passais par ce qu'il restait de la porte d'entrée de la taverne, écartant la jeune femme qui se tenait là.
À l'intérieur, des décombres, des cendres et des corps inanimés. Seules trois personnes restaient debout dans la pièce : le guerrier Hercule, debout dans l'encadrement de la porte de la cuisine, entouré des restes du plafond, Alex'heya, prête à en découdre, et Crynus, lui même entièrement armuré.
Hercule semblait différent vu d'ici. Je ne l'avais pas vu souvent, mais je me souvenais à quoi il ressemblait habituellement. Et son aura, son odeur et la magie qui émanaient de lui ne trompaient pas : c'était un vampire, ou je ne m'y connaissais pas.
Quand à Alex'heya, elle semblait bien furieuse, et sa robe ne ressemblait plus vraiment à grand chose.
Crynus lui m'était inconnu. C'était un humain, mais là il semblait bien tendu, comme un ressort géant, prêt à taper ce qui doit être tapé.
J'inspectais encore un peu la pièce, puisque j'avais le temps.
Kaevann était encore vivant, adossé au comptoir semble-t-il, et Gyrius semblait aussi être entier et conscient, bien que pas tout à fait indemne.
Au sol, certains signes ne trompaient pas : Hercule avait utilisé une très forte puissance : la magie du Sang.
Il allait falloir combattre le feu par le feu.
Je prononçais un léger murmure "Las onta-thre dôll nothe shänguis." (Par la force du seigneur du sang déchu)
La pièce s'assombrit légèrement. Les murs et le toit craquèrent en se redressant vers l'extérieur. Une brume couvrit le plafond, qui devint invisible. De mon corps suintaient des rampants : mille-pattes, blattes, araignées et vers, et dans mon dos des bulles de sang sortaient. Mes crocs s'allongeaient, et mes ongles également.
Je m'adressais alors à la taverne, pour la première fois depuis mon arrivée, et d'une voix d'outre-tombe : "Vous avez osé toucher à celle-ci !" en désignant Alex'heya "Il vous en coutera bien plus que vous ne l’imaginez !" Je repris violemment mon souffle. "J'avais promis de la protéger, aujourd'hui je vais la venger !" Un râle rauque sortit de ma gorge. "Aujourd'hui, je sais pourquoi je suis ici !" Un quinte de toux achevait ma transformation, tandis que les ailes sortaient totalement de mon dos. "Par le passé, j'ai abandonné celle qui m'avait été promise !" J’apparaissais désormais tel un seigneur des morts aux yeux de tous. "À celle-ci j'ai offert mon sang, en guise d'amitié !" Je déployais mes ailes, qui désormais couvraient les fenêtres de la devanture du bâtiment. "Je ne trahirais pas un serment de sang tel que celui-ci !" Je remis pieds à terre. "Qui que tu sois, toi qui habites le corps d'Hercule, je te défies, de vampire à vampire !" Je saisis ma lame de la main droite, tandis que ma main gauche suintait d'un sang noir, qui n'était pas le mien.
Je ne pourrais peut-être pas le vaincre, mais si l'histoire venait aux oreilles de Borric, il en aurait à chanter.