La famille du général
Publié : 08 mai 2014, 00:28
La famille du général est une nouvelle satyrique écrite par Lopo des Equus. Elle fut publié la semaine suivant l'autodafé du livre Le général érotique. Le général Shyveno est toujours la cible du récit, cette fois-ci d'inspiration imaginaire et symbolique. La famille du général a été tiré à 1500 exemplaires dans un atelier clandestin d'Urpis. La troisième de couverture est signée par l'auteur. Le texte est présenté sans préface, mais porte une dédicace.
à Clément Desnos.
Mon nom est Byron Monceaux. Je suis originaire de Tradirie. J’ai servi dans les armées du roi Sunblade comme petit intendant. Nombre de chevaliers pourront attester de mon sérieux et de l’honneur de ma parole – bien que je ne sois qu’un homme de compte.
Durant mon service, j’ai brillé par ma chance aux cartes. Et puis, quand un cadet avait faim, ça ne me dérangeait pas de dire au lieutenant qu’un rat était entré dans la tente. Pour un bout de pain !
Après la guerre, la chance a tourné. Devenu explorateur malgré moi, à cause d’une dette que je ne pouvais pas payer (c’est la seule zone d’ombre de ma vie – faites le tour des comptables d’Urpis, c’est ce qu’on vous dira), je m’exilais le long des côtes.
Je commençais alors une existence d’aventures, traversant des forets de pins, dormant dans les dunes de sable – rencontrant nombre de poètes et de criminels qui cherchaient, auprès de l’écume, l’inspiration ou l’oubli.
Descendu vers le sud, une embarcation m’emmena vers une précieuse zone de pêche. Une barrière de corail protégeait le lagon. J’admirais l’eau transparente et les fonds bleutés ; il y passaient des bancs paisibles de poissons colorés. Je ne regrettais rien, à ce moment là, de ma vie d’avant.
Sur notre frégate, sept pêcheurs remontaient des filets plein de poissons brillants. Un monstre marin survint et broya dans ses nageoires le bois tant et si bien qu’en quelques secondes, le bateau n’était plus qu’une épave. Et moi, je n’étais plus qu’un naufragé dérivant sur un rondin.
Je reprenais connaissance sur une île étrangère. Le sel avait desséché ma peau et brulé mes yeux mais un ruisseau d’eau claire s’écoulait d’une jungle luxuriante. Il allait en chantant jusqu’à la mer, comme une fontaine naturelle. Je pus m’y rafraichir longtemps.
La nuit vint et j’avais dû m’avancer dans la foret pour trouver quelques fruits. Sachez que jamais plus dans ma vie, je n’ai goûté de pastèques aussi délicieuses ; les fraises et les framboises poussaient au sol comme l’herbe chez nous, et tous les arbres arboraient une santé resplendissante.
Je n’avais croisé aucun animal dangereux ; mais de merveilleux cerfs me regardaient marcher avec leurs grands yeux bruns et ils n’avaient pas peur.
Je ne retournais même pas sur la plage pour construire un quelconque abri : je m’endormais sur un lit de fougères.
C’est au matin que j’eus la surprise de ma vie. Deux humanoïdes bizarres étaient penchés sur mon lit et je voyais à leurs sourcils qu’ils étaient étonnés.
Pas de lance, ni de massue, ces deux êtres d’apparence primitive étaient nus. Ils m’ont pris gentiment par la main et m’ont emmené à leur campement. Quelques ustensiles et leurs empreintes de pieds qui avaient fini par user la clairière, me firent comprendre que cela faisait des années qu’ils vivaient ici. Peut-être des siècles ; car ils n’avaient pas l’air marqué par le temps - bien qu’ils fassent assez vieux avec leur gros nez et leurs gros sourcils.
Un miroir de notre civilisation était placé au centre de leur domaine. Une chaise, aussi, était là et semblait avoir un caractère sacré. Le troisième élément qui attira mon attention était une sorte de corde en liane. Je n’imaginais pas à quoi elle pouvait servir pour l’instant.
Je vécu plusieurs mois avec eux et j’ai pu retenir avec exactitude leur mode de vie.
Toutes les journées de ces étranges humanoïdes se déroulaient de la même façon.
Ils commençaient, à l’aube, par se regarder dans le miroir. Ils prenaient des poses cérémonieuses, drôles et conquérantes, se souriaient, embrassaient leur reflet, s’acclamaient.C’était quelque chose d’assez déconcertant.
Ils semblaient s’ignorer l’un et l’autre durant cette «démarche» et s’ils ne se disputaient pas, c’est vraiment qu’ils devaient s’aimer profondément car j’ai fait une fois l’erreur de m’approcher du miroir - et je crois qu’ils auraient pu me tuer.
Après cette première cérémonie, ils passaient à la suivante - qui durait tout aussi longtemps - c’était la cérémonie de la chaise.
L’un restait debout et proclamait des discours en charabia accompagnés de grands gestes politiques. L’autre, assis, faisait mine d’être absorbé par l’orateur.
Quand venait la fin de la tirade, l’unique spectateur applaudissait furieusement, sautait, jetait des hourras. En fait, il donnait à l’autre le contentement d’être écouté, adoré, acclamé grâce à ses paroles. Ils inversaient ensuite les rôles et ce - jusqu’à ce qu’ils soient tous les deux complètement exténués. Ils passaient alors à la dernière épreuve ; cela les revigorait.
C’était la menotte.
La liane n’était rien d’autre qu’une menotte artisanale auquel les deux énergumène s’attachaient tour à tour.
Ils jouaient au bourreau et à la victime, se frappaient les fesses jusqu’au sang. Je peux vous dire que celui qui frappait appréciait le mal qu’il faisait à l’autre - les coups cinglants de baguette sur les fesses les faisait hurler chacun leur tour. Bien qu’ils soient très amoureux, ils avaient besoin de causer du tort.
Ce troisième spectacle était vraiment étonnant par sa violence, d’autant plus que les deux êtres étaient au fond très calmes et bien disposés. Mais le plus étonnant dans tout ce dogme, c’est qu’ils ne prenaient qu’une courte pause pour s’alimenter. L’après midi bien entamé, ils refaisaient les mêmes rituels encore une fois et cela ne prenait fin qu’au moment de dormir - en pleine nuit !
Le dialogue des deux autochtones était assez simple. Le temps de construire une solide embarcation, j’en maîtrisais l’essentiel. C’est finalement le dernier jour - quand ils me raccompagnèrent à la plage pour me voir partir que j’en appris le plus sur ces deux nouveaux amis.
Je mettais la barque à l’eau, hissais ma voile en feuilles séchées et cousues de palmier. Ils me dirent d’une voix émues :
- Byron, tu vas nous manquer. Cela nous rappelle quand notre fils est parti.
- Vous avez un fils ? demandai-je interloqué
- Oui. Il doit avoir ton âge. Il est assez laid ! précisèrent-ils en riant.
- Est-ce qu’il vit sur les terres d’où je viens ?
- Oui ! Son nom est Chie-vert. Peut-être le connais-tu.
Je ne savais quoi répondre. Le grand général rebelle était le fils de ces deux solitaires ?
Je comprenais mieux pourquoi le général d’Alothanria était à ce point, tour à tour, obsédé par son image, désireux d'impressionner les autres et enfin, attiré par le sadisme.
Dans son enfance, peut-être, s’était-il livré longtemps aux rites du miroir, de la chaise et de la menotte ?
En pleine mer, voyant au loin les côtes des terres divines, je décidai de garder toute cette histoire pour moi.
à Clément Desnos.
Mon nom est Byron Monceaux. Je suis originaire de Tradirie. J’ai servi dans les armées du roi Sunblade comme petit intendant. Nombre de chevaliers pourront attester de mon sérieux et de l’honneur de ma parole – bien que je ne sois qu’un homme de compte.
Durant mon service, j’ai brillé par ma chance aux cartes. Et puis, quand un cadet avait faim, ça ne me dérangeait pas de dire au lieutenant qu’un rat était entré dans la tente. Pour un bout de pain !
Après la guerre, la chance a tourné. Devenu explorateur malgré moi, à cause d’une dette que je ne pouvais pas payer (c’est la seule zone d’ombre de ma vie – faites le tour des comptables d’Urpis, c’est ce qu’on vous dira), je m’exilais le long des côtes.
Je commençais alors une existence d’aventures, traversant des forets de pins, dormant dans les dunes de sable – rencontrant nombre de poètes et de criminels qui cherchaient, auprès de l’écume, l’inspiration ou l’oubli.
Descendu vers le sud, une embarcation m’emmena vers une précieuse zone de pêche. Une barrière de corail protégeait le lagon. J’admirais l’eau transparente et les fonds bleutés ; il y passaient des bancs paisibles de poissons colorés. Je ne regrettais rien, à ce moment là, de ma vie d’avant.
Sur notre frégate, sept pêcheurs remontaient des filets plein de poissons brillants. Un monstre marin survint et broya dans ses nageoires le bois tant et si bien qu’en quelques secondes, le bateau n’était plus qu’une épave. Et moi, je n’étais plus qu’un naufragé dérivant sur un rondin.
Je reprenais connaissance sur une île étrangère. Le sel avait desséché ma peau et brulé mes yeux mais un ruisseau d’eau claire s’écoulait d’une jungle luxuriante. Il allait en chantant jusqu’à la mer, comme une fontaine naturelle. Je pus m’y rafraichir longtemps.
La nuit vint et j’avais dû m’avancer dans la foret pour trouver quelques fruits. Sachez que jamais plus dans ma vie, je n’ai goûté de pastèques aussi délicieuses ; les fraises et les framboises poussaient au sol comme l’herbe chez nous, et tous les arbres arboraient une santé resplendissante.
Je n’avais croisé aucun animal dangereux ; mais de merveilleux cerfs me regardaient marcher avec leurs grands yeux bruns et ils n’avaient pas peur.
Je ne retournais même pas sur la plage pour construire un quelconque abri : je m’endormais sur un lit de fougères.
C’est au matin que j’eus la surprise de ma vie. Deux humanoïdes bizarres étaient penchés sur mon lit et je voyais à leurs sourcils qu’ils étaient étonnés.
Pas de lance, ni de massue, ces deux êtres d’apparence primitive étaient nus. Ils m’ont pris gentiment par la main et m’ont emmené à leur campement. Quelques ustensiles et leurs empreintes de pieds qui avaient fini par user la clairière, me firent comprendre que cela faisait des années qu’ils vivaient ici. Peut-être des siècles ; car ils n’avaient pas l’air marqué par le temps - bien qu’ils fassent assez vieux avec leur gros nez et leurs gros sourcils.
Un miroir de notre civilisation était placé au centre de leur domaine. Une chaise, aussi, était là et semblait avoir un caractère sacré. Le troisième élément qui attira mon attention était une sorte de corde en liane. Je n’imaginais pas à quoi elle pouvait servir pour l’instant.
Je vécu plusieurs mois avec eux et j’ai pu retenir avec exactitude leur mode de vie.
Toutes les journées de ces étranges humanoïdes se déroulaient de la même façon.
Ils commençaient, à l’aube, par se regarder dans le miroir. Ils prenaient des poses cérémonieuses, drôles et conquérantes, se souriaient, embrassaient leur reflet, s’acclamaient.C’était quelque chose d’assez déconcertant.
Ils semblaient s’ignorer l’un et l’autre durant cette «démarche» et s’ils ne se disputaient pas, c’est vraiment qu’ils devaient s’aimer profondément car j’ai fait une fois l’erreur de m’approcher du miroir - et je crois qu’ils auraient pu me tuer.
Après cette première cérémonie, ils passaient à la suivante - qui durait tout aussi longtemps - c’était la cérémonie de la chaise.
L’un restait debout et proclamait des discours en charabia accompagnés de grands gestes politiques. L’autre, assis, faisait mine d’être absorbé par l’orateur.
Quand venait la fin de la tirade, l’unique spectateur applaudissait furieusement, sautait, jetait des hourras. En fait, il donnait à l’autre le contentement d’être écouté, adoré, acclamé grâce à ses paroles. Ils inversaient ensuite les rôles et ce - jusqu’à ce qu’ils soient tous les deux complètement exténués. Ils passaient alors à la dernière épreuve ; cela les revigorait.
C’était la menotte.
La liane n’était rien d’autre qu’une menotte artisanale auquel les deux énergumène s’attachaient tour à tour.
Ils jouaient au bourreau et à la victime, se frappaient les fesses jusqu’au sang. Je peux vous dire que celui qui frappait appréciait le mal qu’il faisait à l’autre - les coups cinglants de baguette sur les fesses les faisait hurler chacun leur tour. Bien qu’ils soient très amoureux, ils avaient besoin de causer du tort.
Ce troisième spectacle était vraiment étonnant par sa violence, d’autant plus que les deux êtres étaient au fond très calmes et bien disposés. Mais le plus étonnant dans tout ce dogme, c’est qu’ils ne prenaient qu’une courte pause pour s’alimenter. L’après midi bien entamé, ils refaisaient les mêmes rituels encore une fois et cela ne prenait fin qu’au moment de dormir - en pleine nuit !
Le dialogue des deux autochtones était assez simple. Le temps de construire une solide embarcation, j’en maîtrisais l’essentiel. C’est finalement le dernier jour - quand ils me raccompagnèrent à la plage pour me voir partir que j’en appris le plus sur ces deux nouveaux amis.
Je mettais la barque à l’eau, hissais ma voile en feuilles séchées et cousues de palmier. Ils me dirent d’une voix émues :
- Byron, tu vas nous manquer. Cela nous rappelle quand notre fils est parti.
- Vous avez un fils ? demandai-je interloqué
- Oui. Il doit avoir ton âge. Il est assez laid ! précisèrent-ils en riant.
- Est-ce qu’il vit sur les terres d’où je viens ?
- Oui ! Son nom est Chie-vert. Peut-être le connais-tu.
Je ne savais quoi répondre. Le grand général rebelle était le fils de ces deux solitaires ?
Je comprenais mieux pourquoi le général d’Alothanria était à ce point, tour à tour, obsédé par son image, désireux d'impressionner les autres et enfin, attiré par le sadisme.
Dans son enfance, peut-être, s’était-il livré longtemps aux rites du miroir, de la chaise et de la menotte ?
En pleine mer, voyant au loin les côtes des terres divines, je décidai de garder toute cette histoire pour moi.