
Pic de Lurhilis
Le livre se referma dans un claquement discret qui parut pourtant résonner dans le silence monacale de la bibliothèque. Cela faisait deux longues heures que le soleil avait déserté le ciel, et bien plus que les érudits avaient quitté ce lieu de savoir. Seule une Eveillée y demeurait encore, repoussant constamment de quelques minutes supplémentaires le moment où elle devrait partir à son tour.
D’un geste quasi affectueux, Thanis caressa la couverture de cuir usé de l'atlas qu’elle venait de refermer, et un sourire nostalgique étira ses lèvres pâles. Elle connaissait pourtant bien son contenu, mais avait l’impression de le redécouvrir.
Avec une lenteur qui ne se justifiait pas, elle partit ranger l’ouvrage à sa place, dans les rayons du secteur géographie de la grande bibliothèque de Lurhilis. Elle hésita quelques secondes avant de le pousser entièrement dans l’espace vacant qui lui était dévolu et de secouer la tête devant son comportement puéril.
Cela faisait déjà plusieurs jours qu’elle trouvait le moindre prétexte pour décaler un peu plus une décision qu’elle avait pourtant cru ferme. Elle se sentait comme une enfant, qui chercherait continuellement à grappiller quelques minutes de sursis quand vient l’heure du coucher, pour repousser un peu plus loin le moment où elle devrait quitter son univers rassurant pour se plonger dans l’inconnu de ses rêves nocturnes. Dans son cas, quitter le confort de sa retraite dans la cité purifiée pour ré-affronter un monde qu’elle avait fui.
- Il est suffisamment temps, se fustigea-t-elle. Par Luraï, si je ne peux le faire maintenant, alors je ne le pourrais jamais…
Prenant une profonde inspiration, Thanis se détourna de l’imposante étagère chargée de précieux livres, s’empara de la chandelle posée sur sa table de travail, et sans un dernier regard pour ce lieu familier qui lui avait offert un apaisant refuge, le quitta enfin.
Le lendemain à l’aube, emmitouflée dans une cape grise, un léger sac de voyage en bandoulière, la purifiée franchit le portail d’entrée de l’étincelante cité blanche. A peine la descente du mont entamé, un petit corbeau à l’aspect déplumé vint tourner autour d’elle en pépiant, et elle lui présenta l’une de ses paumes ouvertes pour qu’il s’y pose quelques instants, l’autre main fouillant l’intérieur de sa besace à la recherche du petit sac de graines qu’elle contenait.
- Je n’ai pas de travail pour toi aujourd’hui, Pilim, lui souffla-t-elle en déposant quelques friandises devant lui. Je ne compte pas m’annoncer avant d’y être. Je tiens à ce que ce soit une visite surprise. Tu as quartier libre.
Une fois que le volatile eut fini son repas, elle imprima un petit mouvement de balancier à sa main pour l’inciter à décoller, ce qu’il ne se fit pas prier. Il disparut rapidement hors de sa vue et elle reprit sa descente, essayant de ne pas penser à ce qui pouvait l’attendre hors d’un territoire qu’elle n’avait pas quitté depuis longtemps.